Elèves perdus, élèves punis :
le ministre de l'Education nationale rouvre des colonies pénitentiaires

Sans aucune concertation, par une simple circulaire parue au Bulletin Officiel (29/06/2010), le ministre de l’Education nationale décide l’ouverture d’un nouveau type d’établissements qui devraient voir le jour durant l’année 2010-2011. Ces établissements dits de « réinsertion scolaire » (ou ERS, c’est leur dénomination officielle) s’appuient en réalité sur des principes qui n’ont plus rien à voir avec l’école ou la scolarité.
Il s’agit de recevoir dans le cadre d’un internat des élèves qualifiés de « particulièrement perturbateurs » mais dont il est bien précisé qu’ils ne relèvent pas « d’un placement dans le cadre pénal ». Cependant, s’ils ne sont pas délinquants, ils sont traités comme tels, comme le montrent en particulier les modalités d’inscription qui vont jusqu’é déposséder les parents de leurs droits éducatifs les plus élémentaires : quoique l’accord de la famille soit sollicité, il n’est plus obligatoire, en cas de refus, « une saisine du procureur peut être engagée par l’inspecteur d’académie (…), afin que puisse être étudiée l’opportunité de prononcer un placement. », un placement dont il est par ailleurs précisé qu’il « durera aussi longtemps que nécessaire ».

Autrement dit, il ne s’agit donc pas d’inscription dans un établissement scolaire mais d’enfermement privatif de liberté, sur simple décision administrative, pour des élèves âgés de 13 à 16 ans qui ne sont pas délinquants. Un arbitraire proprement ahurissant qui ne se donne même pas la peine de respecter les règles du droit.

L’encadrement devrait être assuré par des enseignants « sur la base du volontariat », qui n’auront de fait reçu aucune formation particulière mais aussi avec des « partenaires locaux », parmi lesquels … le ministère de la Défense, dont on se demande bien quelles peuvent être les compétences éducatives.

L’emploi du temps regroupe les activités purement scolaires sur la seule matinée, le reste étant consacré à diverses occupations, qualifiées d’ « ateliers citoyens », menées en collaboration avec des partenaires choisis notamment dans les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Intérieur. Avec ce que le directeur général de l’enseignement scolaire, auteur de la circulaire, appelle sans rire « une organisation du temps innovante », on ne voit pas comment des élèves déjà en difficulté pourraient suivre une scolarité digne de ce nom et réintégrer le cursus scolaire normal. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif : il est bien précisé que le DNB (diplôme national du brevet) ou les ASSR (attestation scolaire de sécurité routière), exigibles de tout collégien, ne devront ici faire l’objet de certification que « chaque fois que cela est possible ». C’est donc bien d’une mise à l’écart définitive qu’il s’agit, prélude à une « orientation » expéditive vers le monde du travail : si le statut scolaire est envisagé pour respecter les formes, il est bien précisé que les plus âgés n’auront guère le choix qu’entre le lycée professionnel et l’apprentissage.

Avec cette circulaire, on se trouve en face de quelque chose qui ne respecte aucune des règles traditionnellement en vigueur en matière éducative : des élèves, souvent très jeunes (13 ans…), qui n’ont commis aucun délit, se voient ainsi enfermés d’autorité, pour un temps indéfini, dans quelque chose qui ressemble plus à la prison ou à la caserne qu’à un établissement scolaire. Une initiative pas entièrement nouvelle, qui remet au goût du jour les sinistres colonies pénitentiaires – Mettray, Aniane, Belle-Ile-en Mer – de la fin du 19e siècle, où des générations de pauvres gosses, issus de milieux défavorisés, passaient leur jeunesse avant d’être remis entre les mains du patronat, soumis aux caprices d’un encadrement brutal et incompétent.

L’ouverture de ces établissements est à mettre en regard de la politique éducative menée par le gouvernement : augmentation des effectifs, fermeture des petits établissements, suppression des enseignants spécialisés, remise en cause de l’éducation prioritaire, disparition de la formation des enseignants, économies budgétaires en tout genre ciblées sur les mouvements pédagogiques, les psychologues scolaires, la santé scolaire. Autrement dit, une politique qui touche les élèves les plus en difficulté et favorise l’échec scolaire, que l’on prétend en retour combattre par des mesures aussi brutales qu’inefficaces.

Une vingtaine de ces établissements regroupant chacun 15 à 30 élèves seraient prévus : ainsi, parce qu’on aura enfermé quelque 3 à 400 élèves, c’en sera fini des élèves qui perturbent à eux seuls le bon fonctionnement du système éducatif. Cette initiative, annoncée sans aucune concertation, élaborée dans le secret du cabinet par le porte-parole du gouvernement et accessoirement ministre de l’Education nationale, est évidemment hautement politique. Elle est le fruit du caprice d’un président de la république et d’une partie de la classe politique qui, avec ténacité, depuis des années, considèrent les difficultés scolaires comme une marque de délinquance. La création de ces écoles-prisons doit être replacée dans un contexte qui fait de l’éducation l’otage, le jouet de considérations purement électoralistes et de la nécessité de prendre des voix à l’extrême-droite : pendant deux ans encore, l’Ecole doit s’attendre à voir d’autres initiatives du même acabit, qui l’éloignent toujours plus des obligations et des principes du service public d’éducation.

http://journaldecole.canalblog.com/archives/2010/07/16/18596282.html

http://www.education.gouv.fr/cid52474/mene1015823c.html

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