à Joachim Gatti

"Face à une dictature, comment agir politiquement quand on est un créateur ?"

Marie-José Mondzain posait cette question au printemps 2009 dans un entretien accordé à la revue Cassandre [1]. Les sbires de la "démocratie Potemkine" [2] qui nous régit ont montré de quelle façon ils voulaient accueillir la réponse.
Ce mercredi 8 juillet 2009, Joachim Gatti a été touché au visage d'un tir de flashball qui lui a fait perdre son oeil droit. Que faisait-il donc qui puisse déclencher cette atrocité ? Joachim témoignait pacifiquement son soutien aux expulsés de "la Clinique". "La clinique, en référence aux expériences venues d’Italie, avait pris la forme d’un "centro sociale" à la française :
logements, projections de films, journal, défenses des sans papiers, repas… Tous ceux qui réfléchissent au vivre ensemble regardaient cette expérience avec tendresse." (Sur Joachim Gatti, lettre ouverte de Stéphane Gatti son père)
Une manifestation de solidarité s'est déroulée hier pacifiquement à Montreuil jusqu'à ce que les forces de police ne décident de charger un cortège dont, "Dans un souci d'apaisement, les organisateurs (...) ont cherché à modifier le parcours pour éviter que le face à face ne se prolonge, repartant vers la Croix de Chavaux", ainsi que le souligne le communiqué de ce jour de l'AFP, repris par les éditions en ligne de journaux tels que Le Monde et Le Figaro. Les gardes mobiles se sont alors acharnés avec une violence qui a choqué la population de Montreuil sur des manifestants qui s'étaient contentés de porter des banderoles en évitant toute action agressive.
Le 22 mars 2009, Stéphane Gatti accueillait la deuxième journée nationale de l'Appel des appels dans les locaux de La Parole errante à la Maison de l'Arbre, à Montreuil. Nous nous y rencontrions "décidés à combattre une idéologie de la norme et de la performance qui exige notre soumission et augure d’une civilisation inique et destructrice de l’humain" [3].
Aussi, les participant-e-s au comité de Paris de l'Appel des appels tiennent à témoigner à Joachim et Stéphane Gatti, leur émotion, leur sympathie tout autant que leur détermination à lutter contre cette barbarie qui vient et qui a déjà meurtri bien trop d'entre nous.
Il nous appartient, toutes et tous, d'élaborer les cadres dans lequels pourront prendre forme les résistances et ripostes qui mettront en échec ceux qui déclament sur les écrans du Spectacle : "Nous devons protéger nos concitoyens les plus fragiles, ceux qui souffrent le plus", "L’exclusion, c’est ce que la crise peut engendrer de plus grave" [4] et qui, dans le même temps, assument le bon fonctionnement d'un Etat qui peut mettre en garde à vue simultanément 74 syndicalistes d'une même entreprise (EDF-GDF) et qui réserve aux plus démunis et aux plus précaires l'assurance d'une constante brutalité répressive.
L'Appel des appels nous donne un de ces cadres où nous pouvons nous retrouver, un lieu où nous pouvons construire la confiance face à la déshumanisation.


Ce mardi 14 juillet 2009
Comité de Paris de l'Appel des appels

... Pétition Interdiction totale de l'utilisation des armes non-létales (flashball, LBD40, tazer) par les forces de l'ordre



[1] Cassandre Horschamp, no 77, p. 49
[2] Villages Potemkine, luxueuses façades érigées à la demande du ministre russe Potemkine destinées à masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l'impératrice Catherine II en Crimée en 1787.
[3] Charte de l'Appel des appels
[4] Discours présidentiel devant le Parlement réuni en Congrès

Lettre adressée aux professeurs des écoles injustement sanctionnés

Chers Professeurs des écoles,

Il est inacceptable que vous soyez punis par le Ministre et la hiérarchie de l’Education Nationale alors que, par votre décision intelligente et responsable, vous n’avez pas voulu être complice de la nouvelle forme de maltraitance constituée par le temps de soutien après la classe, dit aide personnalisée, qui doit être consacré obligatoirement aux apprentissages dits fondamentaux (français, calcul, mathématique).
Mieux que quiconque, vous savez en effet que, à la fin du temps scolaire, les enfants en difficulté sont épuisés, enfermés dans leurs peurs, échecs, blocages et inhibitions, dans leur anxiété, leurs angoisses ... surtout lorsqu’ils se projettent dans le retour à la maison alors que leur milieu familial est en souffrance. Beaucoup le sont déjà au début de l’après-midi ou même, pour les plus fragiles, vulnérables et démunis, dès la fin de la matinée comme le montre l’observation des enfants accueillis dans les écoles de ZEP. Seuls les enfants qui vivent au quotidien dans la sécurité affective, sans déficits de sommeil et sans comportements “perturbés” et/ou “perturbateurs”, peuvent être suffisamment vigilants, attentifs, réceptifs et disponibles au cours de l’après-midi pour capter et traiter les messages du maître, et ainsi se réaliser pleinement comme élèves. Et encore, pas tous les jours selon les fluctuations de leurs équilibres physiologiques, émotionnels, affectifs, sociaux et cognitifs. Tous ont envie de changer de « planète » à 16h.30. La très grande majorité des enseignants … également.
Votre refus d’enfermer après la classe les élèves en difficulté dans des situations d’apprentissage formel qui vont aggraver leurs difficultés, est une prise de responsabilité humaniste et civique qui vous honore. Elle montre la voie pour que les enfants en difficulté ne soient pas encore plus épuisés, démotivés ... et finalement, au fil des jours, psychologiquement et intellectuellement détruits par la journée la plus longue du monde (six heures de temps contraint).
« L’addition » quotidienne de l’aide personnalisée aux enfants en difficulté scolaire augmente encore la durée de la journée scolaire la plus longue du monde … en particulier pour ceux qui peinent à mobiliser leurs ressources intellectuelles afin de comprendre et d’apprendre, et aussi pour les enseignants eux-mêmes. Comment peut-on penser qu’une aide après la classe, fût-elle personnalisée, puisse être utile ou efficace pour les élèves dont la fatigue, le manque de vigilance et d’attention, et l’absence de motivation sont évidents à 16h.00, souvent dès le début de l’après-midi ou même à la fin de la matinée (c’est évident dans les écoles des ZEP) quand ils sont « installés » dans l’échec scolaire ?
Les dégâts viennent s’ajouter aux dégâts générés par l’accroissement de la pression intellectuelle et relationnelle avec le poids augmenté au quotidien de la fréquence et de la durée des apprentissages dits fondamentaux, dans le cadre combiné d’une semaine ramené arbitrairement à quatre jours (il faut faire en quatre jours ce qui était fait en quatre jours et demi) et de nouveaux programmes imbéciles. Il n’y a plus de temps de décompression et de respiration au cours de la journée alors qu’il est indispensable pour que tous les enfants, surtout ceux qui sont en difficulté, puissent récupérer au moins un peu de leurs fatigues psychologiques et intellectuelles, et restaurer peu ou prou leurs capacités d’attention, de concentration intellectuelle et de traitement de l’information. Il n’y a plus assez de temps pour que les enfants puissent libérer leurs émotions, leurs sensibilités, capacités et intelligences cachées, ainsi que la richesse de leur imaginaire, pourtant évidentes lorsqu’il s’engagent dans les arts plastiques, le chant choral, la narration, la découverte de la nature, les particularités de la vie végétale et animale, l’histoire captivante de nos ancêtres et du monde, les modes de vie dans les différentes cultures humaines ... Les enfants apprennent aussi bien le français, ou mieux, au cours de ces temps de diversification et de découverte que dans les situations d’apprentissage formel et explicite de la langue. Bien évidemment, les enseignants le savent. Les Professeurs des écoles ont donc raison de proposer l’un ou l’autre de ces champs de découverte et de plaisir au cours de la demi-heure d’aide personnalisée, alors que leurs élèves sont “intellectuellement plus que saturés”.
Les Scandinaves sont horrifiés.
En imposant sans concertation la semaine de quatre jours, l’augmentation délirante du poids des “fondamentaux” et le soutien accordé après la classe aux enfants en difficulté, le Ministre et la hiérarchie de l’Education Nationale déshumanisent l’école, accroissent les inégalités et injustices sociales, en conduisant un nombre croissant d’enfants à s’enkyster dans “le désamour” pour l’école et son rejet, et ainsi plus ou moins progressivement dans la marginalité sociale. Ce “système” aberrant et “concentrationnaire” stigmatise les familles qui cumulent les difficultés personnelles, morales, familiales, sociales et culturelles. C’est une honte pour notre pays ... en principe l’un des berceaux des Droits de l’Homme. Les étrangers que je rencontre ne comprennent pas ce “système”. On n’aurait pas agi autrement si on avait voulu pérenniser une école à plusieurs vitesses dans laquelle les plus fragiles, vulnérables et démunis ne peuvent même pas passer la première vitesse, et s’engager avec confiance dans le désir de comprendre et d’apprendre faute de pouvoir enclencher les vitesses supérieures qui permettent d’accéder aux différents niveaux des savoirs et des connaissances.
Aucun pays au monde n’a institué une journée scolaire aussi pénalisante pour les enfants en difficulté dans le cadre d’une semaine qui n’en est pas une : deux jours scolaires (lundi et mardi), un jour non scolaire (mercredi : peut-on encore le justifier par la catéchèse, prévue le jeudi il y a trente ans ?), deux jours scolaires (jeudi et vendredi), et deux jours de week-end. Dans ce cadre, tout le monde sait que le lundi est un jour très perturbé et perturbant (beaucoup d’enfants sont somnolents, en tout cas non vigilants et/ou agités). Quelle illusion et/ou quel manque d’honnêteté de penser qu’une demi-heure supplémentaire d’aide personnalisée après la classe, notamment le lundi, puisse faciliter la maîtrise du français, du calcul et des mathématiques en situation d’apprentissage formel. Tous les enseignants savent que c’est une mission impossible.
Le tribunal incontournable de Histoire retiendra que l’actuel Ministre de l’Education Nationale, ses conseillers patachons et idéologues, et sa hiérarchie vassalisée ont institué un système de maltraitance, de stigmatisation, de culpabilité et d’exclusion implicite qui déshonore notre pays et notre nation.
Il n’y a jamais eu autant d’Inspecteurs d’Académie révoqués qu’en 2008-2009 alors que leur “’faute” a été d’entendre et d’essayer de comprendre la décision et le désarroi des enseignants, notamment ceux que l’on dit « désobéisseurs ». Les informations qui “remontent du terrain” montrent toutes qu’il n’y a jamais eu autant d’enfants épuisés et déboussolés, et aussi d’enseignants exténués, stressés, démoralisés et culpabilisés par les échecs persistants des élèves les plus fragiles, vulnérables et démunis. Les lettres qu’ils adressent à leurs édiles, souvent le ou la maire, sont pathétiques et souvent bouleversantes. La porte est béante pour la consommation accrue de somnifères, calmants, psychotropes ... des enfants, de leurs parents inquiets ou désespérés et de leurs maîtres ... qui perdent confiance dans leurs ompétences. Faut-il préciser que les Français sont déjà les plus grands consommateurs de ces molécules !
Par leur refus, les « désobéisseurs » sauvegardent la dignité de l’école. Merci.
Le présent courriel peut être diffusé sans retenue.
Avec toute ma solidarité

Le 5 mai 2009
Hubert Montagner

Professeur des Universités en retraite
Ancien Directeur de Recherche à l’INSERM
Ancien Directeur de l’Unité de recherche « Enfance Inadaptée de l’INSERM

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